Permis sur la planète rouge – Une histoire de science-fiction
Clémentine se réveilla d’un bond. Elle avait encore rêvé qu’elle était sur la planète rouge, où elle était née. Elle était toujours considérée comme citoyenne de cette planète, et non de la planète Brown pour laquelle elle avait tout laissé. Comme elle ne pouvait pas payer pour un supplément bagage, elle était arrivée, il y a de cela cinq ans maintenant, avec une petite valise, pleine de produits cosmétiques naturels. C’était ça son projet pour construire sa nouvelle vie. Elle avait ouvert son magasin, puis quand elle avait fini de remplir les papiers d’immigration, de trouver un appartement et sa place dans le commerce local ; son mari et ses enfants l’avaient rejoint. Elle avait senti un certain empressement à le faire, ne supportant plus que sa famille vive encore sur la planète rouge. Maintenant qu’elle avait compris l’impact de la bluein, elle ne reviendrait plus en arrière.
Pourquoi toutes ces pensées du passé refaisaient-elles surface ainsi ? La raison était simple, et elle le savait. Il lui fallait renouveler son permis de circulation et l’administration sur Brown avait refusé de le faire. Il lui fallait donc retourner non pas sur sa planète de cœur, mais sur sa planète natale. Tout avait été arrangé pour qu’elle réside chez sa cousine. Ses sentiments étaient mitigés ; elles s’entendaient tellement bien dans l’enfance, elles s’étaient tenues les coudes dans les moments difficiles mais sa cousine persistait à admirer la bluein et Clémentine n’arrivait pas à le supporter.
Et tout ça à cause de son genou ! Pas de permis de circulation sans genou valide. Telle était la règle sur la planète rouge. Règle complètement obsolète, puisque sur la planète Brown, plus personne ne conduisait en appuyant sur des pédales. L’assistance à la conduite s’occupait de tout, le contrôle par l’humain n’étant là que pour les rassurer. Les robots avaient permis de limiter la pollution ; elle était désormais quasi-inexistante, et de fluidifier le trafic. En moyenne, tout le monde se rendait facilement à sa destination, et bien plus vite qu’autrefois. Les accidents étaient devenus anecdotiques. Cela faisait l’évènement et quand cela arrivait, tout le monde en parlait.
Les pro-techno se devaient de respecter la partie naturelle de la planète et avaient réussi à atteindre des niveaux de pollutions ridicules, assez proches de zéro. Les pro-naturalistes respectaient les inventions et les robots de la partie industrielle. Finalement, il y avait même des mélanges. Certains prenant ceci et d’autres cela.
Sur la planète Brown, les habitants avaient eu le courage de reconstruire une société nouvelle. Il y avait des partisans en faveur de la robotisation et d’autres du maintien de la nature. Ils étaient parvenus à un accord où la société robotisée s’élevait dans des villes de des gratte-ciels et avaient protégé sous forme de parcs naturels le reste de celle-ci. Cela permettait une agriculture traditionnelle et des élevages où le bétail était traité de manière décente et une robotisation à la pointe. A force de débats, ils étaient arrivés à une entente. Il y a de cela quinze ans, personne n’aurait pu penser qu’ils puissent y arriver tant les débats sur la bluein étaient houleux. Mais finalement, il y avait pas mal de solutions qui convenaient aux deux partis. La gestion des fruits et légumes étaient robotisées ; les robots ayant été formés aux techniques traditionnelles. Les transports ressemblaient à un flux sanguin continu où chaque module, tel un globule rouge, trouvait sa place harmonieusement. Les produits toxiques avaient été interdits. Les habitants de la planète Brown avaient du mal à le croire mais c’était pourtant bien le cas, ça fonctionnait. Bien sûr, il y avait des exceptions, mais les personnes qui avaient immigrés, d’origines et d’horizons différents l’avaient fait car elles croyaient au projet. Leurs valeurs, leur projet commun, les rassemblaient et cela avait donné naissance à une société paisible. Quand tout le monde œuvre vers le même objectif…
Pour cela, il avait fallu mettre fin aux hiérarchies, sans cela l’intérêt d’un seul aurait pu prendre le dessus sur l’ensemble. Ils ne les avaient pas combattus. Cela ne servait à rien. Ils avaient simplement mis en place un système parallèle à base de coopératives où chacun pouvait s’exprimer et voter à égalité. Et ces coopératives avaient finies par envahir le marché, et donc les décisions. Bien sûr, quelques structures hiérarchisées subsistaient. Elles n’étaient pas nombreuses, et après tout cela permettait de rassurer les plus frileux avant qu’ils se jettent à l’eau.
Mais la planète rouge, elle, continuait d’utiliser les anciennes voitures à pédales… Et il fallait un genou valide pour les conduire… En effet, pendant ce temps-là, la planète rouge était surpeuplée et des lois strictes avaient été passées contre les robots. Les mesures environnementales avaient été jetées aux oubliettes et remplacée par une propagande qui vantait les mérites des effets de la pollution.
Son mari se retourna et ouvrit les yeux :
« Bonjour mon amour » puis il bailla et s’étira de tout son corps. « Alors, c’est le grand jour ? »
« Oui », répondit brièvement Clémentine.
« Tu es réveillée depuis longtemps ? Pas trop stressée ? »
« Oh, tu me connais. Ça me saoule. Mais il faut bien y aller. »
Son mari devait rester pour veiller sur la boutique mais les enfants, étant en vacances, viendraient avec elle. « Ça leur fera du bien de voir comment c’est ailleurs. C’est toujours riche d’enseignement » avait-il commenté. Et Clémentine était bien de son avis.
Quand elle avait vécu sur d’autres planètes, dans sa jeunesse, elle avait tant appris. Puis, elle avait suivi une formation et avait enseigné. Elle pensait que toutes ces bonnes idées prises par ici et par là seraient profitables à tous. C’est parce qu’elle avait oublié que, bien que le rejet, au départ soit nécessaire à tout enseignement, le rejet catégorique ne propose qu’une alternative à l’enseignant : abandonner ses idées jugées saugrenues ou être rejeté. Bien sûr, il y en avait certains qui apprenaient et d’autres qui rejetaient mais il était clair que sur la planète rouge, le rejet était massif.
De plus, la majorité de ses élèves ressemblaient à des oisillons qui attendaient la becquée. Comment dans ces conditions pouvait-elle leur enseigner la citoyenneté et la démocratie qu’elle avait vues fonctionner si bien sur d’autres planètes ? Comment leur apprendre à apprendre par eux-mêmes ?
Déjà, rien que le nom était ridicule. Les habitants continuaient à appeler la planète rouge une planète où toute forme de vie était devenue bleue à cause de l’accumulation de bluein, un déchet industriel qui n’avait jamais été traité. La tradition est utile, mais ce n’est qu’une boîte à outil dans laquelle on peut piocher pour améliorer les choses. Pas ce carcan serré et … ridicule … où l’on se force à être daltonien comme les autres.
Même les parents de l’école et ses supérieurs hiérarchiques ne l’acceptaient pas. Le peu qui était d’accord avec elle se taisaient mais elle voyait leurs yeux briller à l’idée qu’elle puisse réussir. Elle ne voulait pas décevoir cette minorité, mais on ne peut pas donner à boire à des ânes qui n’ont pas soif, encore moins quand ils ont le pouvoir. Elle avait son mari et ses enfants ; et même si c’était dur elle avait tout laissé ; et elle était partie vivre avec des gens qui voulaient vivre comme elle. On n’a qu’une vie. Les habitants de la planète rouge comprendraient quand ils seraient prêts. Du moins, elle l’espérait secrètement…
Ses pensées furent interrompues pas l’atterrissage. Le voyage avait été agréable en dehors de la Bluegrass country music qui passait en permanence et qui lui donnait le Blues. « Mais l’avantage de voyager de nuit, c’est que les enfants dorment », songea-t-elle. « Ça y est ! La planète rouge…. Toute bleue… »
Elle tapa un numéro sur sa console et sa paire de chaussure arriva dans la boîte conçue à cet effet. Elle regarda ses chaussures. Quand même ces machines étaient efficaces ! Ses chaussures en cuir brillaient tant elles avaient été bien lustrées et elles étaient d’un confort optimal. Oui, c’était vrai. Elle ne portait pas ces nouveaux modèles aux matières novatrices et performantes. Après tout, sur la planète Brown, des méthodes naturelles avaient été trouvées pour augmenter les performances du cuir ; et le résultat en termes de perméabilité, confort, respect des particularités individuelles était quasi-équivalents. Et puis, après tout, ça restait des chaussures. Elle aimait l’aspect du cuir. Sa beauté. Elle regardait ses chaussures dans les moments d’attente. C’était comme une œuvre d’art portative, qui évoluait au fil de la journée. Le cuir n’était jamais pareil. Et puis aussi elle aimait à se dire qu’elle participait au financement des mesures du maintien du bétail traité de manière décente, en semi-liberté dans des parcs naturels et supervisés par des robots qui s’occupaient de leur bien-être et de leur santé, entre autres. Elle se le disait à chaque fois qu’elle passait devant un champ de ces nouveaux bovidés à la peau épaisse et au museau plein d’herbe fraîche.
Arrivée sur la planète rouge, sa cousine et sa fille Violette lui reprochèrent ses chaussures bizarres et elles l’obligèrent, à coup de recommandations infinies où elle ne pouvait pas en placer une, à porter des chaussures aux textiles novateurs mais bleus. Les enfants eux, étaient ravis à l’idée d’avoir de nouvelles paires de baskets. Elle finit par les mettre tout en le regrettant amèrement. Elle savait que sa cousine et sa fille, vivant là, n’avaient pas la liberté de pouvoir porter des chaussures en cuir. Quand un être humain subit des règles absurdes, il décharge son stress en les faisant subir aux autres, et les perpétuant du même coup….
Socrate disait au jeune homme qui veut apprendre à philosopher doit savoir qu’il ne sait rien ou que ce qu’il sait n’est rien. On croyait qu’ils étaient maintenus dans l’ignorance pour accepter la bluein. Mais ce n’était pas ça. C’était les habitants eux-mêmes qui votaient pour des représentants qui les maintenaient dans leurs fausses croyances et les confortaient en ajoutant des thèses qui allaient dans leur sens juste parce qu’ils refusaient de regarder leurs erreurs passées. Ils préféraient encore la prison de l’ignorance à la liberté, la santé et la responsabilité personnelle qui les accompagnent. Clémentine se rappela qu’autrefois, elle devait voter pour des représentant. C’était pour elle, comme faire un chèque en blanc. Comment savoir ce que cette personne allait faire ?
« C’est absurde », pensa Clémentine. « Elles creusent leur propre tombe, et en plus, elles sont satisfaites ». Mais elle céda quand même et enfila les chaussures, pour avoir la paix. Une paix illusoire, mais une paix quand même. Au moins, elle, elle n’obligerait personne à porter des chaussures…. Surtout quelqu’un avec un problème au genou !
Sa cousine et sa fille n’avaient ni module ni tricycle robotisés. Une voiture. Mon dieu ! Clémentine savait-elle encore les conduire ? Elle préféra marcher jusqu’à la préfecture. Elle sentit la pollution lui entrer par le nez, elle vit l’herbe bleue, qui était devenue la plante urbaine la plus répandue. Où était la diversité des plantes qu’elle avait l’habitude de voir, même en ville ? Sa cousine avait gentiment proposé de garder les enfants. Elle était reconnaissante mais inquiète aussi. Est-ce qu’ils allaient manger des sucreries bleues ? Est-ce qu’ils allaient jouer sur un de ces tas de déchet bleus qu’on voit partout ? Clémentine se dit qu’elle aurait mieux fait de les envoyer en camp de vacances… Elle avait oublié à quel point on ne pouvait pas échapper à la bluein. Ou peut-être que ça s’était empiré ?
Arrivée à la préfecture et après avoir attendue une demi-heure, elle présenta le dossier complet qu’elle avait rempli sur la planète Brown. Tout y était, radio du genou, information sur la santé générale avec des mesures précises, tests de vue et d’audition et même une épreuve de conduite qu’elle avait réussie. Elle précisa qu’elle ne circulerait que sur la planète Brown. Le fonctionnaire n’ouvrit même pas le dossier.
« Allez au bureau 4 et prenez un ticket. Un médecin va vous recevoir. »
Elle prit son ticket. Il y avait 20 personnes avant elle. S’il passe 15 min par patient, ce qui paraît déjà rapide pour évaluer l’état de santé de quelqu’un, cela fait 5 heures… Il devait y avoir un truc…
Effectivement, le numéro changeait toutes les 5 minutes. Elle attendit donc une bonne heure puis un bip retentit et se fut son tour.
Elle présenta le dossier complet qu’elle avait rempli sur la planète Brown et il lui coupa la parole.
« Etes-vous malade ? » demanda-t-il.
Clémentine se dit qu’il valait mieux dire « non ».
« Pourquoi êtes-vous ici ? »
« Pour renouveler mon permis de conduire. Je profite d’une visite à ma famille. » se sentit-elle d’ajouter.
« Bon, si vous le permettez, je vais me concentrer pour remplir votre formulaire. »
Elle attendit peut-être trois minutes puis fut expédiée. Un coup de tampon de l’administration et le tour était joué. A quoi servaient ces gens ? Comment se sentaient-ils en rentrant le soir ? Comment pouvaient-ils supporter d’appliquer des règles absurdes et de faire du sale boulot juste parce qu’ils n’avaient pas de temps ?
« Arrête de te torturer », pensa Clémentine, « tu ne comprendras jamais la planète rouge ».
Une fois rentrée, elle vit sa cousine ranger les courses. Elle avait tellement de placards ! Que d’espace de perdu. Pourquoi cette obstination à ne pas utiliser de robots, Elle leur parla de son robot qui rangeait tout en colonne dans le séparateur d’étage et qui gérait les stocks en fonction de ce qui était utilisé. Cela participait aussi à la bonne isolation phonique qu’il y avait entre les étages. Elle n’entendait jamais ses voisins. Et avec sa terrasse aménagée en jardin, elle était comme dans une maison. Juste au 54ème étage. Mais les barrières étaient parfaitement sûres… Il y avait des toboggans d’urgence et des parachutes à gogo. Il y avait même des filets tous les 10 étages. Et puis, les jardins, ça avait été une révolution sur la planète Brown car il n’y avait presque plus de gaspillage de nourriture….
Sa cousine lui répondit qu’il fallait bien maintenir les emplois des éboueurs qui avaient des emplois très respectables….
Elle prit des plats industriels, un par personne, et les mit dans l’accélérateur de particules. C’était le nouveau nom que les industriels avaient trouvé pour les micro-ondes. Tout le monde sur la planète s’était rééquipé, à leur plus grand profit et aussi au profit des déchetteries où les vieux micro-ondes croupissaient.
Clémentine ouvrit le plat préparé ; il y avait des taches bleues.
« C’est pour remplacer le sucre, ils mettent de la bluein ; il n’y a plus de diabète depuis qu’on l’utilise. Tu vois, nous aussi on innove sur notre planète ! » commenta la cousine.
Cette mesure avait fait disparaître le diabète sur la planète… Plus personne ne connaissait cette maladie. Par contre, nombre étaient ceux qui avaient des organes supplémentaires. Ça n’avait pas l’air de poser de problème, au contraire, les habitants trouvaient cela pratique… Clémentine n’en revenait pas.
Elle prétexta ne pas avoir faim et pria, oui, Clémentine pouvait être irrationnelle elle-aussi, donc elle pria pour que le plat ne plaise pas à ses enfants et qu’ils n’en redemandent pas !
« Et en plus c’est bon », ajouta Violette, la fille de la cousine….
« Demain, je cuisine », proposa Clémentine à ses hôtes.
Le lendemain, Clémentine se leva tard, vers 11h. Sa cousine était vraiment sympa de s’occuper des enfants comme ça. Elle lui avait laissé une note :
« Salut ! Nous sommes au parc. Peux-tu préparer la salade STP? Bizzz. Bleuenn»
Bleuenn faisait pousser la salade sur son toit. Clémentine eut beaucoup de mal à choisir la plus belle. La salade était verte, ça c’était chouette, mais tachetée de bleue. L’évier étant encombré; Clémentine décida de faire la vaisselle. Elle ouvrit un placard pour ranger les assiettes. Il était tellement bondé que trois paquets de biscuits ainsi que de la poussière bleue lui tombèrent sur la tête. Clémentine réduit en miettes un paquet de biscuits qui l’assaillait après avoir effectué un geste de Karaté. Clémentine était étonnée que ses réflexes de défense soient toujours là. Elle se sentit rassurée aussi. Quand on pense que pendant deux cents ans, en dehors de quelques dojos traditionnels, le karaté s’était calqué sur la boxe ; sport de barbare et de compétition.
« Mais ce n’est pas possible ! », gambergea-t-elle, « On peut quand même utiliser un minimum de robotique ! Un distributeur personnel c’est pas mal. Cela permet de gagner de la place tandis que la machine stocke tout de manière optimale dans le séparateur étage. Et ça éviterait de se battre avec la nourriture… Tiens, justement. La salade… »
Clémentine la tria les feuilles puis se dit qu’il n’en restait plus grand-chose, une fois les parties bleues enlevées.
Sa cousine arriva alors.
« Oh ! merci pour la vaisselle. Mais qu’as-tu fait avec la salade ?! Il n’en reste presque plus… » demanda-t-elle déçue. Puis, tout en enlevant les manteaux des enfants elle ajouta :
« Pourquoi tu ne te teintes pas les cheveux dans une belle couleur. Il y en a plein. Indigo, turquoise, azurin, majorelle, cyan, Cobalt, ardoise, tiffany, bleut ? »
Clémentine se demanda si c’était de la provocation.
« Tu sais que je tiens une boutique de cosmétiques naturels ? »
« Oui, et alors ? »
« C’est pas possible de s’aveugler de cette manière … » enragea Clémentine. « Ça veut dire que ce sont des plantes et autres produits naturels qui servent à teinter les cheveux. D’ailleurs la phytothérapie, qui a fait un bond en termes d’efficacité, et les produits naturels sont plus efficaces dans pas mal de cas que les produits industriels… et ils respectent l’environnement. »
« Mais celui qui est cyan est fait avec de l’herbe bleue urbaine…. C’est naturel… »
Clémentine resta bouche bée et se tût. Elle n’avait plus du tout envie de communiquer. De toute façon, elle connaissait quatre autres langues qui lui servaient à parler à des gens qui savaient ce qui était naturel et ce qui ne l’était pas….
« Qu’as-tu fait avec les biscuits ? Tu sais, ils ne tombent pas du ciel ; nous, on travaille dur ! On ne peut pas se permettre de gaspiller des salades et des biscuits comme ça… »
Clémentine se dit qu’après tout, littéralement, les biscuits lui étaient presque tombés du ciel….
« Violette est en train de travailler, là en ce moment-même, et toi tu gaspilles… » ajouta-t-elle.
Elle parlait du gaspillage de son petit budget, bien sûr. Elle ne pensait pas à l’impact sur sa planète. Sa consommation de plats préparés industriels représentait un gouffre de gaspillage de matières premières utilisées et aussi de pollution. Elle avait décidé de ne pas s’en soucier, de s’aveugler. Clémentine pensa à son jardin, dans sa tour, avec ses robots qui lui préparaient des plats frais et de saison.
« Ta fille est serveuse dans un petit vaisseau spatial. Elle s’écrase à longueur de journée et elle n’a que treize ans. Qu’est-ce que tu lui apprends au juste ? »
« A vivre ensemble. Il faut garder le sourire et trouver les moyens de vivre avec tout le monde. C’est ce qu’il faut faire. »
Clémentine se dit qu’elle avait beaucoup de chance. Elle n’avait pas à s’écraser devant les plus forts, ceux qui pouvaient se payer un billet dans un petit vaisseau spatial étaient bien les plus puissants. Mais Clémentine n’aurait pas à envoyer ses enfants travailler si jeunes. Le système de coopérative de la planète Brown permettait à chacun de coopérer en fonction de ses moyens, et contrairement aux idées reçues ; quand cette idée avait été mise en place, une tonne d’idées nouvelles étaient arrivées. Chacun était écouté quand il avait une idée pour améliorer les choses ; les décisions étaient prises collectivement, après débat. Cela était certainement une conséquence d’un système éducatif à l’écoute des élèves, d’une médecine de pointe y compris au niveau psychologique et psychiatrique et du fait que les votes, que ce soit au niveau de la planète ou au niveau des coopératives, se faisaient à l’initiative des citoyens (il fallait une pétition signée par 3% de la population pour pouvoir demander le référendum) et il s’agissait toujours de voter pour les idées. Etonnement, cela fonctionnait. Probablement parce que tout le monde avait intérêt à ce que les coopératives fonctionnent puisque leurs revenus et leur bien-être en dépendaient. Et c’était une idée répandue qu’en travaillant pour le bien commun, on améliorait son propre niveau de vie. Il fallait dire que cette planète avait une des meilleures conditions de vie que les autres, donc ça devait sûrement être vrai. Bien sûr, il y avait des resquilleurs. Les psychologues s’occupaient d’eux. Parfois ils étaient considérés comme invalides, parfois le psychologue les aidait à retrouver une place dans cette société ; et à mieux la comprendre.
« Tu ne connais ni la démocratie, ni la liberté », ajouta Clémentine amère mais sur un ton neutre car elle ne souhaitait pas attaquer sa cousine.
« Bien sûr que si ! Nous venons à peine de voter pour le nouveau président de la planète rouge et il a réduit de 2 heures le temps de travail. Tu vois, on va avoir plus de liberté ! »
Les enfants prirent alors le dessus dans la conversation.
« Maman, pourquoi Bleuenn elle a onze doigts ? » demanda Sonny.
Clémentine ne sut que dire.
« Parce que c’est plus pratique, je peux faire plus de chose… »
« Moi, je veux un troisième œil, comme le monsieur au parc » ajouta Alba, « pour mieux y voir ».
« Ne t’inquiète pas, ma chérie. Je veillerai à ce que tu y vois plus clair que lui. »
Puis ils se mirent à parler des pays et des capitales de la planète rouge.
Le fils de Clémentine s’appelait Sonny. Elle aimait beaucoup ce nom. C’était un vrai rayon de soleil ce garçon. Et puis, il était bien soigné sur la planète Brown. Un robot s’occupait de lui en permanence et il y avait eu une intervention sur ses gènes. Et Alba, sa fille, tellement pure et blanche ! Finalement, ceux qui se soumettaient sur la planète rouge étaient bien plus fermés au monde extérieur et dans leur bulle que Sonny qui était autiste. Elle savait qu’il s’ouvrait au monde et qu’il serait libre.
Sonny: What about the others? Now that I’ve fulfilled my purpose, I don’t know what to do.
Detective Del Spooner: I think you’ll have to find your way like the rest of us, Sonny. That’s what Dr. Lanning would’ve wanted. That’s what it means to be free.
I robot (2004)
Bluegrass country music: Flatt & Scruggs – Keep on the Sunny Side: https://youtu.be/jCbhM_Ud3YA