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Riche


Riche

C’était une belle journée et le paysage était spectaculaire. Tout le monde avait son appareil photo en main pour essayer de capturer la beauté du moment. Évidemment, personne n’était photographe professionnel et, pour couronner le tout, le soleil leur faisait face, ce qui rendait les écrans des téléphones très sombres. Quoi qu’il en soit, les photos étaient prises au hasard du moment. Même si les photos étaient stupéfiantes, beaucoup bavassaient sous prétexte que ce n’était pas aussi beau qu’en vrai. Ainsi, progressivement, ce groupe de femmes avait cessé de prendre des photos et avaient simplement profité du moment. Bien sûr, les discussions fusaient, comme d’habitude dans ce groupe.

“Une fois de plus, l’organisation de cette randonnée est tout simplement parfaite. Merci beaucoup Olivia.”

D’autres femmes profitèrent de cette occasion pour remercier leur leader à nouveau, leur voix résonnant en Dolby Surround.

Chaque vendredi matin, depuis six ans maintenant, Olivia organisait ces randonnées. Pas toutes, bien sûr, elle était parfois occupée ou absente, mais la plupart du temps. Si jamais, elle trouvait toujours un volontaire pour la remplacer quand elle ne pouvait pas venir elle-même.

Il y avait un lot d’habituées qui se connaissait parfaitement, depuis des années maintenant. Il y avait aussi des nouvelles recrues ; et certaines devenaient des habituées, petit à petit. Chaque semaine, le groupe était différent mais l’atmosphère amicale, accueillante et ouverte d’esprit n’avait jamais manqué à la moindre randonnée.

Deux femmes ne pouvaient pas s’arrêter de bavarder. Mais elles étaient loin d’être les seules. Pendant les randonnées, on pouvait parler avec passion de n’importe quoi ; même si les opinions divergeaient. En fait, c’était parce que les opinions divergeaient que ces femmes trouvaient ces conversations stimulantes et super intéressantes. Personne n’avait jamais reproché à qui que ce soit d’avoir dit quelque chose avec lequel d’autres n’étaient pas d’accord. Ce genre de personnes, toujours à blâmer les autres, ne venaient pas là très souvent. Elles étaient probablement choquées par la liberté de ton, n’avaient pas apprécié et avaient disparu. Mais celles qui étaient revenues avaient été acceptées sans autres. Le groupe n’était pas du genre à remarquer ces comportements.

Augustine et Vicky s’étaient rencontrées environ un an auparavant. Ces deux-là parlaient bébés, mais une chanson parfaitement adaptée à ce moment magique fit irruption dans la conversation.

“C’est là que je voudrais vi-vre”, avait entonné joyeusement Augustine. Le son avait résonné sur le flanc de la colline. “Tu connais ce film, Vicky ? ”

“Non, je ne le connais pas. Mais tu sembles apprécier cette phrase,”répondit Vicky en riant légèrement.

“C’est tiré d’un film très célèbre, adapté d’un roman célèbre de Marcel Pagnol. Tu connais Marcel Pagnol ?”

“Non, j’le connais pas.”

“Oh! Eh bien, il est très connu pour sa description du sud de la France. Il était écrivain et il a aussi produit des films. Ce vers est tiré de La gloire de mon père. Il s’agit d’un jeune garçon vivant dans une ville. Son père est un instituteur. Et pendant les vacances d’été, ils déménagent dans une maison dans les collines de Provence. Et la gloire de son père, c’est de chasser des bartavelles, des oiseaux. Mais quand sa mère dit qu’elle veut vivre dans les collines, elle est fabuleuse. Vraiment fabuleuse ! J’aime quand l’actrice chante cette phrase avec un énorme sourire. Quel beau souvenir d’enfance de sa mère !”

“Oh, je devrais regarder le film alors.”

“Je te le recommande. Un de mes préférés.”

“Je me demande si je vais élever mes enfants en ville ou à la campagne …”

“Tu ne déménages pas à New York bientôt?”

“Oui, mais je peux ne pas y rester …”

“Tu souhaites avoir des enfants bientôt ?”demanda Augustine.

“Non, je suis encore jeune. Tu vois, je me suis mariée très jeune et tous mes amis me disaient que j’étais trop jeune pour prendre une telle décision. Donc, j’ai encore du temps avant d’avoir des enfants. Tu sais, ma famille m’a aussi dit que j’étais trop jeune … ”  Vicky continuait de ronchonner à propos de son mariage.

“Mais, quel âge avais-tu ?”

“21 ans.”

“Quoi? Les gens t’embêtaient parce que tu t’es mariée à 21 ans ? !! A t’entendre, on aurait cru que tu t’étais mariée à 16 ans. 21 ans, c’est un âge normal pour se marier …”

“Oui, et maintenant que je suis ici, j’ai 25 ans maintenant ; je rate tous les mariages, là-bas, aux États-Unis. Tous mes amis d’enfance se marient maintenant.” Vicky semblait un peu triste de manquer toutes ces célébrations.

“Tous en même temps ou bien?”se renseigna Augustine.

“Oui.”

“C’est un non-sens absolu. 21 ans, c’est trop jeune et puis après prêt, feu, partez, vous avez maintenant 25, dépêchez-vous, mariez-vous seulement!” Elles rirent, surtout parce qu’Augustine avait vraiment l’air de donner le départ d’une course; surtout avec sa grosse voix bien à elle.

“Je veux dire qu’au moins tu as eu le bon sens de faire ce qui te semblait juste. Et, en ce qui me concerne, tu sembles heureuse avec ton mari.”

“Je le suis”, répondit Vicky sans hésitation, comme un fait immuable qui ne sera jamais remis en question.

“C’est ce qui compte. Tu crois que certaines de tes amies se sont mariées avec quelqu’un qui n’est pas Monsieur parfait juste parce qu’elles avaient 25 ans?”

“Je ne peux pas dire. C’est tellement ridicule !”

“C’est sûr ! ”conclut Augustine. Elles commencèrent à rêver toutes les deux, profitant de la vue une fois de plus. Elle était tellement parfaite.

“Tu sais, avoir des bébés c’est kif-kif bourricot. J’ai eu mes enfants il y a dix ans, et la pression sociale est très forte. À l’époque, nous étions très pauvres, et nous recevions tous ces cadeaux inutiles et que nous n’avions pas demandé …. Donc, pour mon deuxième, nous avons pensé que ce serait une bonne idée de demander ce dont nous avions vraiment besoin : comme une heure de femme de ménage, un repas livré à domicile ou une consultation d’ostéopathie … Des choses comme ça. On a nos goûts, tu sais. Tout le monde n’est pas pareil. Les gens ont eu des réactions différentes. Disons que certains étaient ravis de pouvoir nous faire un cadeau que nous apprécierions vraiment mais d’autres étaient vraiment fâchés …”

“Mais pourquoi étaient-ils fâchés ?”Vicky était dans un état proche de la surprise et de la curiosité.

“J’sais pas. Autant que je sache, ils aiment faire du shopping. Le cadeau, ils le font surtout à eux-mêmes.”

“C’est tellement ridicule ! Tu penses ça, vraiment ?”Maintenant, Vicky était légèrement choquée…

“Je ne sais pas. Tu sais… Tous ces vêtements portés seulement deux fois parce que le bébé grandit si vite. Bon, c’est vrai, j’ai eu de gros bébés, ils les ont portés pendant très peu de temps. Je suis probablement influencée par ça. As-tu une autre explication ?”

“Eh bien, je dois admettre que non. Ces boutiques pour bébé sont pleines de gadgets, pas vrai ? Je ne suis pas sûre que tu aies besoin de tout ça pour élever un bébé.”

“Oh ! Je suis si content de t’entendre dire ça. C’est presque que des gadgets… Tu connais le dessin animé Inspecteur Gadget?” demanda Augustine tout en se mettant à chanter le générique … “C’était très populaire quand j’étais enfant. Tu es plus jeune, pour sûr. Ça ne te rappelle rien ?”

“Tu ne manques jamais une occasion de chanter, hein ? Tu es comme Sœur Mary Patrick dans Sister Act!”

“Tu es tellement gentille. J’aime cette Sœur, toujours heureuse. J’aime ce film. Y a plein de chansons … En tout cas …

En fait, tu sais, tu n’as pas besoin de grand-chose pour élever un bébé. On avait la chance d’être pauvres. Nous ne pouvions pas nous payer ces trucs. Alors …”

“On avait de la chance d’être pauvres…. ” Vicky médita sur cette phrase qu’elle répéta à voix basse.

“Alors, quand tu es pauvre et que tu achètes quelque chose, tu te demandes vraiment si tu as besoin de ce machin-là ? Et la plupart du temps, la réponse est non … ou alors j’ai besoin de quelque chose qui n’est pas dans cette boutique. Quand j’étais enceinte de mon premier enfant, je lisais ces magazines qu’ils donnent à l’hôpital. Il y avait tellement de choses dont il fallait avoir besoin, j’avais l’impression que je ne réussirais jamais à m’occuper de mon bébé. Nous étions les premiers de notre génération, et dans les deux familles, à avoir un enfant. On n’avait qu’un couple d’amis à qui demander conseil. Et tu sais ce que mon mari a fait ?”

“Il a chanté une berceuse, peut-être ?”

“Oh, allez ! Je n’aime que celle d’Ella Fitzgerald … Mais j’ai appris à aimer les autres en berçant mes bébés … Quoi qu’il en soit, ce que je voulais dire, c’est que mon mari a pris tous les magazines et les a mis à la poubelle.”

“Non, allez, il a pas fait ça.”Vicky ne pouvait pas s’empêcher de rire tout en rejetant cette idée.

“Si, il l’a fait. Et je me suis sentie beaucoup mieux après. Tu n’imagines pas à quel point la propagande fonctionne. Surtout quand tu es seule. Mon mari venait d’être muté sur France et on avait déménagé deux semaines avant l’accouchement. Du coup, on ne connaissait absolument personne. Ces magazines te convainquent que c’est vraiment dur d’élever un bébé. Alors que c’est la chose la plus naturelle au monde !

Donc, on avait juste le minimum et maintenant je peux dire que c’est beaucoup plus pratique. Par exemple, on nous avait offert une grande baignoire avec un transat de bain. Ça prenait tout l’espace dans la salle de bain et mon bébé détestait ça. Pour couronner le tout, quand la baignoire était pleine d’eau, c’était terriblement lourd et il fallait la vider avec un tube en plastique. Ce n’est pas si facile à faire quand tu berces un bébé en même temps. En fin de compte, j’ai lavé bébé dans l’évier et bébé était bien plus content. Ça ne prenait pas de place et c’était facile à vider.”

“Et tu économisais de l’eau pour la planète.”

“Ça, c’est bien vu…. Alors, pourquoi s’embêter ?”

“Oh ! Je suis tellement d’accord avec toi”, Ki les avait rattrapées. “Mes bébés aimaient uniquement les bains dans les éviers. J’ai détesté la grande baignoire moi-aussi. Nous avons dû la vendre.”

“Tu vois … J’ai dû vendre la plupart des cadeaux que j’ai reçus. Je suis vraiment désolée pour ceux qui ont fait ces cadeaux mais c’est tellement vrai. Au moins, j’avais un peu d’argent pour acheter ce que je voulais vraiment,”se vantait Augustine.

“Tu sais, ces grosses poussettes”, ajouta Ki. “On nous en a offerte une très chère. Vous savez ces grands trucs-là.”

“Oh ! Oui, ils peuvent être très chers …”insista Augustine.

“Chers à quel point?”demanda Vicky, qui prévoyait d’avoir un bébé tôt ou tard et voulait plus d’infos.

“Je ne sais pas comment c’est maintenant. Mes enfants ont 13 et 15 ans. Mais c’était plus de 1500 CHF ”, se rappela Ki.

“Quoi ? C’est plus que dispendieux, ça coûte une blinde !”s’exclama Vicky, tout à coup.

“Et elles sont nulles ! Ma fille est tombée dans celle qu’on nous a offerte. Ce n’est jamais arrivé avec la Maclaren que j’ai achetée moi-même. Jamais. J’ai utilisé la grosse deux semaines puis je l’ai vendue pour acheter plusieurs trucs. Cela m’a ouvert les yeux : cher ne veut pas dire meilleur”, conclut Ki.

“Je suis d’accord, et certaines, à ce prix sont en plastique. Ce n’est même pas solide”, continua d’argumenter Augustine.

“Et elles prennent tellement de place”, continua Ki, “tu dois planifier où tu vas. Et, c’est tellement lourd aussi. Avec ma Maclaren, je pouvais porter la poussette et le bébé pour monter de longs escaliers ou simplement l’utiliser à reculons pour quelques marches. C’est impossible à faire avec les énormes poussettes hors de prix …”

“Et le truc, pour mettre le siège auto sur la poussette, c’est une si mauvaise idée … Le bébé n’est pas censé rester longtemps dans le siège d’auto, je pense que c’est mauvais pour son dos ou que ça lui fait une tête plate, quelque chose comme ça ; je ne me souviens pas bien ; alors pourquoi y laisser le bébé? Et c’est si lourd à porter.”Augustine était si heureuse de se souvenir de cette période de sa vie et tout ce qu’elle avait appris sur la consommation qu’elle aurait pu continuer à parler des heures …

“J’utilisais une simple écharpe de portage. Cela ne réveille pas le bébé. Il est tellement heureux d’être sur la poitrine de papa ou de maman. Ça coûte 80CHF. Et tu peux l’utiliser comme une écharpe, une couverture, un truc sur lequel s’asseoir ou une protection contre le soleil. Et bien sûr, pour cacher le bébé pendant l’allaitement…”

“Tu me fais penser à Sophia.”Margherita fit irruption dans la conversation. “Elle vient d’avoir un bébé.”

“Oh ! Vraiment ? C’est trop mignon”, s’exclamèrent Augustine et Vicky qui la connaissaient.

“Pourquoi ne nous l’a-t-elle pas dit, elle a nos numéros de téléphone ?”

“Je ne sais pas”, répondit Margherita rapidement. “Elle m’a appelé à la place. Mais mes enfants ont 21 et 25 ans. Je ne me souviens plus très bien. Donc, je lui ai dit ce dont je me souvenais. Elle est riche mais elle n’achèterait même pas un stérilisateur pour les biberons ! Elle a grandi dans une ferme en Russie. Elle dit qu’elle a l’habitude de stériliser des bouteilles pour les animaux et qu’elle a juste besoin d’une grande casserole. Je ne comprends pas ça. J’ai trouvé le stérilisateur tellement pratique ! J’avais tellement d’accessoires qui me facilitaient la vie. Et elle ne les veut pas ; alors qu’elle a l’argent, c’est tellement bizarre !”

“De toute évidence, ce qui te convient à toi, ne lui convient pas à elle,”  remarque Ki.

“Je peux la comprendre”, ajouta Augustine. “Parfois, quand on a trop d’accessoires, c’est du travail rien que de les gérer. Je veux dire que tu dois les nettoyer, leur trouver une place dans la cuisine. Les retrouver quand on en a besoin. Une casserole est multifonctionnelle. Donc, on l’utilise plus. Tu sais où la trouver et cela facilite la vie.”

“Je suis tellement content que nous ayons cette conversation, j’apprends tellement.”Vicky était très reconnaissante. “Je pense que je vais avoir un bébé bientôt.”

“Oh ! Fantastique ! Es-tu enceinte ?”demanda Ki avec joie.

“Non, non. Je prévois d’en avoir un ou deux dans les cinq prochaines années … Rien de précis pour le moment”, répondit Vicky. “Juste un projet à long terme …”

“Es-tu enceinte ?”rétorqua Ki en regardant le ventre globuleux d’Augustine.

“Non, non”, avoua Augustine.“Les gens me laissent leurs places dans le bus, pensant que je suis enceinte ; et moi, je crois qu’ils quittent leur siège pour le céder à mon fils, ce qui n’est pas le cas et du coup ça fait des situations … Une fois une femme m’a lancé en pleine face que je ne devais pas laisser mon siège à mon fils mais à mon bébé, et c’est là que j’ai compris ….

Maintenant, j’ai ce ventre depuis ma deuxième grossesse. J’aimerais avoir un troisième bébé ; c’est peut-être pour ça que je garde ce ventre. Ou, peut-être que c’est juste ce que nous avons mangé quand nous étions pauvres; de la nourriture avec trop de pesticides et de mauvais additifs…  Peut-être qu’être pauvre, c’est pas ce que tu ne peux pas t’acheter mais comment tu peux rester en bonne santé. Je devrais me faire un potager. ”

“Oui, tu devrais. ”

Aurianne Or

Environmental Health Perspectives – Metabolic Effects of a Chronic Dietary Exposure to a Low-Dose Pesticide Cocktail in Mice: Sexual Dimorphism and Role of the Constitutive Androstane Receptor: https://ehp.niehs.nih.gov/ehp2877/


Aurianne Or by Aurianne Or is licensed under CC BY-NC 4.0